« Je m’appelle Najah HASSAN, je suis vice-présidente de l’amicale Franco-soudanaise et de l’association Yeobi à Montpellier. Je suis arrivée en France en 1993, j’avais trente ans. Originaire du Soudan, j’ai dû fuir le pays à cause de problèmes politiques. Au début, c’était très difficile. J’avais un gros problème par rapport à la langue française. Au début, j’étais à Lyon. Petit à petit, j’ai pris le temps d’apprendre le français. Puis, avec mon ex-mari et nos trois enfants, je me suis retrouvée à Annemasse à côté de la frontière franco-suisse, en Haute-Savoie. Lui, allait travailler à Genève tous les jours. J’ai ouvert une boutique de vêtements à destination des femmes musulmanes mais après un an d’exercice, j’ai dû cesser mon activité, victime de menaces racistes. Nous nous sommes finalement installés à Montpellier en 2006, une ville qu’on ne connaissait pas du tout. Nous sommes arrivés ici le jour de la finale de la coupe du monde de football, je m’en souviens encore. Peu de temps après, mes filles sont parties vivre en Angleterre en compagnie de leur père. Pendant trois ans je suis restée là, seule, et j’ai fait des allers-retours plusieurs fois pour leur rendre visite. Etant une femme active et indépendante, j’ai décidé de retrouver un emploi. J’étais très motivée. J’ai fait une formation pour travailler auprès des personnes âgées. J’ai d’abord effectué des missions de remplacement dans un Ehpad. Puis, en juillet 2010, j’ai été titularisée au CCAS.En 2012, j’ai été naturalisée française. Vous savez, venir ici en France ne faisait pas partie de nos projets. D’abord, nous avons pensé à nous exilés dans un pays du Golfe. Quand je suis arrivée en France, j’ai demandé le statut de réfugiée politique.
Le Soudan reste le pays de ma famille, de mes origines. Je suis née à Khartoum, la capitale. J’ai grandi là-bas avec mes six frères. Mon adolescence a été très difficile. Nous avons eu une vie très rude. J’ai des bons et des mauvais souvenirs. En tant que fille, malgré l’amour de mes frères et de mes parents, je ne me sentais pas libre. J’étais la petite protégée de la famille.Trop même. On avait des heures pour sortir, pour rentrer à la maison. On surveillait nos allées et venues, la manière de nous habiller… N’oublions pas que le Soudan est un pays musulman. Là-bas, les parents choisissent à notre place : nos amis, nos maris et même nos études. Nos grand-parents participent également à notre éducation. Par contre, moi j’ai choisi ma voie, mon métier de comptable. Je me suis imposée grâce à mon caractère. Aujourd’hui la mentalité a un peu changé : la nouvelle génération est différente. Il y a un peu plus de liberté. Mes aïeux m’ont transmise les valeurs de respect envers les personnes âgées, la solidarité. Des valeurs que je partage à mon tour avec mes enfants. Avant, j’étais trop sévère avec mes filles. Je me suis rendue compte que cela ne servait à rien. Il faut leur laisser une certaine liberté tout en restant vigilante. Savoir placer des limites. Je leur dis aussi qu’il ne faut pas oublier notre culture, d’où l’on vient. Avant de les emmener au Soudan, je les ai mises en garde sur les us et coutumes du pays. Aujourd’hui, je me suis habituée pleinement à cette vie française. Lorsque je retourne au Soudan pour les vacances, certaines choses me mettent mal à l’aise. Il y a beaucoup trop de décalage entre les deux cultures.
Au Soudan, la situation politique et sociale est très instable. Par exemple, le 25 octobre dernier, les militaires ont mené un coup d’État contre le gouvernement de transition. Notre pays est riche en pétrole, en or, en diamant… Malgré tout cela, la population souffre, surtout les jeunes. Le gouvernement contrôle tout. Le coût de la vie augmente. Il n’y a pas d’aides sociales. Les personnes qui n’ont pas d’emploi sont uniquement soutenues par leurs familles. J’aide la mienne financièrement. A tel point que, moi-même, je ne peux plus aller en vacances. Autres exemples : actuellement, là-bas, seules les personnes aisées peuvent prétendre à une bonne scolarité. C’est injuste. L’enseignement privé est très onéreux. L’école publique n’a plus de moyen. Dans mon enfance, c’était mieux. Car il y avait un autre système politique. Les hôpitaux manquent aussi d’infrastructure. Le peuple demande des soins gratuits. La nourriture, le logement, tout est hors de prix. Donc, ceux qui le peuvent ont tendance à quitter le pays et recommencer leur vie de zéro à l’étranger.
Mon souhait pour le Soudan? D’abord la sécurité, la paix, la justice. Je souhaite la liberté, la stabilité politique pour mon peuple ».
Propos recueillis par Jean-Fabrice TIOUCAGNA