« Je m’appelle Bella Abla Goyito. Je suis togolaise (Afrique de l’ouest). Je suis née à Aného, grande ville côtière située au sud-est, à 50 kilomètres de Lomé la capitale. J’ai grandi à Tsévié, le chef-lieu de la région maritime. Mon père était électro-mécanographe. Ma mère est toujours haute-couturière. Un peu à cause de moi…
J’arrive en France en juillet 2010, invitée par mon oncle maternel pour passer des vacances. Ce pays m’a plu et j’y suis restée. J’ai décidé d’entamer des études d’Administration Economique et Sociale (AES). Je me suis retrouvée à Rodez (Aveyron). En 2013, je fonde mon association humanitaire Alliance Terroir France-Togo dont je suis présidente. Obligée de faire transiter mes collectes pour le Togo par le port de Sète, je découvre cette petite ville non loin de Montpellier. Je m’y installe en 2015. Pendant deux ans, je travaille dans une usine de la zone industrielle de Gigean pour gagner un peu d’argent… En 2018, je crée un atelier de confection de boucles d’oreilles.
Avec la secrétaire de mon association, nous testons la petite affaire à la braderie de Sète : un vif succès ! Puis, je me lance dans la création de vêtements en wax. Ce tissu africain, à l’origine fabriqué en Hollande, est porté par des hommes et des femmes sur tout le continent.
Dans ma famille, la culture du wax se transmet de génération en génération, de mère en fille depuis mon arrière-grand-mère. Par exemple, dès l’âge de trois ans, ma grand-mère nous confectionnait notre petit coupon de tissu brodé, le pagne, comme on le nomme dans le langage commun africain. Le wax est constitué de motifs ethniques. Le style varie entre les différents pays africains. Pour nous, il a un sens très particulier, associé aux épisodes festifs, aux moments de deuil, etc. Chaque couleur, chaque motif graphique a une signification, un langage. C’est très révélateur. Ces éléments sont des marqueurs de rang social suivant les ethnies.
Quand j’étais enfant, je voyais des femmes du quartier venir travailler cette matière chez ma grand-mère. De là, je récupérais toutes les chutes de tissu pour en faire des patchworks. Voir ma mère coudre le wax a fait naître en moi le désir de populariser ce tissu traditionnel. Évidemment, j’aimerais transmettre moi aussi les valeurs de cette tradition. Quand j’imagine un nouveau modèle, je choisis les tissus, je le dessine. J’envoie tout ça à ma mère au Togo. C’est elle qui assure la partie couture dans son atelier. Il nous arrive aussi de customiser des vêtements ici en France dans l’atelier social de Belle en Wax à Sète. J’ai encore toute ma famille au Togo. J’y vais deux fois par an. J’envisage d’ouvrir un centre de premiers soins pour animaux car les enfants ont un petit élevage à la ferme pédagogique de Kévé située à une heure de Kpalimé, au sud-ouest.
Le continent africain a des valeurs ancestrales. D’abord, la préservation de la dignité humaine. Je trouve cela très important. Puis, la transmission, le partage des savoirs : l’an dernier, j’ai passé quatre mois au Togo. J’ai expliqué mon parcours à des enfants. J’ai parlé de mes difficultés, de mes réussites.
Par ailleurs, je pense que le Togo pourrait être un pays mieux développé si les richesses étaient correctement redistribuées. S’il y avait moins de corruption. Malgré cela, au fil des années, le pays a évolué. Les infrastructures s’améliorent petit à petit.
Le Togo c’est aussi une terre de culture, de coutumes. Dans ma contrée, il y a par exemple, “la sortie de la jeune fille”. Ce sont des cérémonies en plusieurs étapes tout au long de son adolescence. Elle va être prise en mains par des femmes âgées, “les grands-mères”, qui vont lui inculquer les bonnes manières. C’est ce qu’on appelle être une Adifo. Il y a, par exemple, des tenues vestimentaires à respecter. Il y a le fait qu’elle doit se préserver pour le mariage… Chaque année, une grande cérémonie est organisée au mois de septembre où toutes les familles présentent leurs filles Adifos aux éventuels prétendants. Elles paradent dans tout le village. Ces rituels, dès l’âge de seize ans, durent jusqu’au mariage. Certaines familles ne pratiquent pas cette tradition. Moi je n’ai jamais été une Adifo. Dans notre tradition, les jeunes filles se scarifient et je ne voulais pas. Aujourd’hui, la femme a une place plus importante dans la vie sociale et politique des togolais. A l’instar du gouvernement qui est constitué de nombreuses femmes. La femme peut prétendre aux mêmes droits qu’un homme. Elle a toujours contribué au bon fonctionnement de la société, au besoin de la famille.
Mon objectif est de continuer à m’occuper des enfants orphelins. Actuellement, 22 petits togolais sont parrainés par le biais de mon association. Nous recherchons d’autres parrains français cependant. Je voudrais également créer un centre culturel au Togo pour les enfants de la rue et mettre en place des activités socio-culturelles.
Si j’ai un message à adresser, ce serait en direction de la jeunesse africaine. Les jeunes sont créatifs et pleins d’espoir. Il faut mettre en avant toute cette créativité par tous les moyens. Il y a des talents qui émergent de toutes les régions du pays ».
Propos recueillis par Jean-Fabrice TIOUCAGNA