Je m’appelle El Hassen. Je suis né à Montpellier et j’ai vécu ma prime enfance au Petit-Bard jusqu’à l’âge de six ans environ. Puis, toute la famille a déménagé à la Paillade à la résidence Le Mercure.J’ai cinq frères dont un qui vit à Dubaï et une sœur. Mes parents sont nés au Maroc. Ils sont arrivés en France au début des années soixante-dix.
J’ai quitté Montpellier en 2007 pour m’installer à Bordeaux. Ma sœur y était déjà. A la base, je lui ai rendu visite un week-end et j’ai décidé d’y rester. J’ai cherché du travail la semaine suivante. Au départ, j’étais intérimaire pour différentes entreprises. Plus tard, une grande enseigne commerciale m’a proposé un contrat puisque j’avais un peu d’expérience.
Enfant, j’étais plutôt dissipé, hyperactif. J’avais vraiment des difficultés à me concentrer. C’était compliqué. Je manquais de confiance en moi. Conséquence de tout ça, j’ai arrêté l’école en troisième. J’étais alors scolarisé à Celleneuve au collège Arthur-Rimbaud. Après avoir quitté le système scolaire à 16 ans, j’ai commencé par accompagner mon père sur les marchés : mes premiers pas dans le monde du travail. Puis, j’ai multiplié des petits boulots dès 18 ans comme manœuvre, manutentionnaire, agent d’entretien jusqu’à découvrir les métiers de la logistique. Cela m’a permis d’avoir une bonne expérience professionnelle dans ce domaine. J’y ai exercé une dizaine d’années. J’ai même tenté le diplôme de technicien supérieur en Méthode et Exploitation Logistique. Vient alors un moment de doute dans ma vie de jeune adulte. En 2013, j’ai finalement arrêté ma collaboration avec cette entreprise et je me suis remis à travailler en intérim, jusqu’en 2014. C’est à cette période que je me mets à lire beaucoup de livres. C’est le déclic. Je reprends mes études en 2016. A ce moment-là, j’en avais marre de ne pas évoluer dans mon boulot alors que d’autres en peu de temps gravissaient les échelons. Pourtant, on avait les mêmes compétences.
Souvent on me demande : comment çà tu n’as pas été au lycée? C’est possible sans le lycée d’aller à l’université ? Et là je leur réponds : évidemment que c’est possible. Mais seulement après un Diplôme d’Accès aux Etudes Universitaires (DAEU) qui se prépare entre un et quatre ans. J’ai validé les modules en une seule année : l’anglais, la philosophie, le français et l’arabe. J’avais cette curiosité et cette soif d’apprendre. La volonté de réussir. J’ai validé ce DAEU option Littéraire avec une note de 18 sur 20 grâce à la langue arabe justement. J’ai confirmé ma volonté d’entrer à la faculté de Droit. Avant, je me disais :Ceux qui ont le baccalauréat, ce sont des tronches. Des intellos… C’est pas pour moi… Et finalement, on se dit que c’est juste du travail constant, de l’auto-discipline. Que c’est donc aussi possible pour moi aussi. Mon projet professionnel se précisait. J’ai voulu étudier en parallèle l’arabe et le Droit. J’entame un double-cursus. Nous sommes en 2017. Trois ans après, j’obtiens ma Licence en Droit des entreprises. Là, je viens de valider mon Master 1 en Droit public. Déjà, à partir de là, je peux me présenter à l’examen d’entrée à l’école d’avocats (CRFPA).
Mon objectif serait de le tenter en septembre 2022 après le Master 2 Recherche avec une spécialisation en Droit Contentieux Public à Orléans.
En fait, pourquoi toutes ces études ? Parce qu’il est toujours bon d’être visible, c’est valorisant et cela permet à travers ce parcours atypique de se dire que tout est possible. Comme le disait Nelson Mandela : Je ne perds jamais, soit je gagne soit j’apprends . A mon sens, l’échec peut être un tremplin vers la réussite. Car tu apprends énormément. Et l’âge n’est pas non plus un frein. Quand je parle avec un jeune du quartier, je m’y retrouve car je suis issu d’un quartier populaire. Je lui dis qu’il ne faut jamais abandonner. Il faut regarder loin devant. Tout se mérite dans la vie. Aussi, j’ai le soutien de mes proches. Cela m’aide beaucoup. A côté, j’ai eu aussi des remarques malveillantes. Quoi que tu fasses, c’est à toi de te dire je vais y arriver .
Plus jeune, je voulais toujours m’évader. Partir loin du quartier. On allait au centre-ville, ailleurs. C’était pour éviter la délinquance, l’insécurité. Nous recherchions la liberté aussi.A l’époque, je pratiquais la danse hip-hop en participant à des battles.
Cela fait quatorze ans que je vis à Bordeaux. De temps en temps, je reviens voir mes parents qui habitent toujours à la Paillade. Quand je vois l’état du quartier avec ces amoncellements d’ordures, par exemple,je suis choqué. Cela en dit long sur l’engagement politique et même celui de la population. Ce manque d’implication conduit au délaissement des quartiers populaires.
Propos recueillis par Jean-Fabrice TIOUCAGNA