« Je suis né en 1968 à Montpellier. Je suis un Gitan catalan. J’ai trois filles et deux garçons qui m’ont donné six petits-enfants. Ils habitent tous à Montpellier. J’ai grandi dans la cité Chantal, qui n’existe plus. Avec mes parents, nous avons ensuite déménagé à Phobos, quartier nord-est de la Paillade. Parmi les endroits les plus anciens de la Paillade, je note le Grand Mail et sa tour d’Assas, la cité Jupiter et enfin l’avenue de l’Europe en bordure du quartier, fermée depuis quelques années. Ma femme est également née à Montpellier.
Les Gitans de la Paillade sont arrivés là où se trouve la voie rapide actuelle. A l’entrée du quartier. Cette zone s’appelait la cité Chantal. Une cité provisoire pour loger les gens du voyage. Ensuite, une partie de la communauté gitane est partie à Figuerolles, d’autres à Montaubérou, ainsi qu’à Phobos et au bas de la Paillade. Il y avait aussi des Gitans aux Flamants roses, aux Tritons (la dernière des cinq tours est tombée en 2017). Ma famille me racontait que l’installation des Gitans à Montpellier a commencé, en fait, dans un quartier qu’on appelait Les Barques… Les Barques se situaient vers la nouvelle mairie (Port-Marianne), vers Saint-Martin. Les Gitans de Montpellier sont originaires d’Espagne. Ils sont arrivés ici dans les années 50-60. Vous avez les Gitans espagnols, andalous, catalans… Je fais bien la différence. Mais nous vivons pareil. À Montaubérou, on retrouve des Catalans, par exemple. Ici, à la Paillade, il y a plus d’Andalous.
Entre les différentes communautés Gitanes, on se respecte. Mais chacune a ses propres coutumes. Déjà, il y a ceux que nous appelons “gens du voyage” et « sédentaires ». Dans les années 60-70, mes oncles et mes beaux-parents, ainsi que leurs parents, ont vécu dans des caravanes. Ils allaient de village en village. Ils faisaient aussi les marchés à Montpellier, Nîmes, Sète, Pézenas, Narbonne, Béziers… Il y a quelques années, nous avons organisé une expo-photo au centre social Caf Paillade pour montrer notre mode de vie avant la sédentarisation. Notre communauté est forte de nos traditions. Nos cérémonies, le mariage, le pèlerinage aux Saintes-Maries-de-la-Mer (Bouches-du-Rhône). À la maison, nous parlons espagnol pour rester en contact avec nos racines. Quand nous étions plus jeunes, nos parents décidaient pour nous. La vie était un peu plus difficile. Nos parents “arrangeaient” nos mariages. Et même, ils n’acceptaient pas l’interculturalité. Mais tout cela a changé. Une de mes filles est mariée à un “non Gitan”. Moi, je veux son bonheur avant tout. Nous ne sommes plus une communauté fermée.
D’ailleurs, nous avons de bons rapports avec toutes les autres communautés. Tant qu’il y a du respect. J’élève mes enfants dans le respect de l’autre. En cas de problème, nous faisons appel à nos « anciens » pour tempérer. J’interviens également. Je dialogue. Même en dehors de la Paillade, par exemple, avec des résidents de Montaubérou. Et vice-versa.
Aujourd’hui, j’ai envie de me “déraciner” de la Paillade. Ici, il n’y a pas assez de sécurité. La délinquance progresse. J’ai l’impression qu’on veut de plus en plus « ghettoïser » le quartier. On entretient la misère. J’ai l’impression aussi qu’on ne veut pas que nous sortions d’ici. L’avenir me semble compliqué ».
Propos recueillis par Jean-Fabrice TIOUCAGNA