« Je m’appelle Marcel Camill’, je suis poète et écrivain. Je suis congolais né à Brazzaville en 1984. J’ai vécu au Congo jusqu’à l’âge de 20 ans avant de venir en France pour continuer mes études de biologie. Je suis donc arrivé à Montpellier en 2004, accueilli par un de mes frères. Au début, j’ai eu une vie classique d’étudiant étranger. N’étant pas boursier, je m’en suis sorti par des petits boulots le week-end et parfois en semaine le matin avant le début des cours. En 2010, je me suis retrouvé sans papier. J’ai consulté plusieurs associations qui aident les migrants mais cela n’a rien donné car j’avais encore le statut d’étudiant. Le fait que je ne valide pas mes années d’études a compliqué mes démarches en préfecture. Entre temps, j’ai encore fait plein de boulots pour survivre : jardinage, soutien scolaire, ménage dans les résidences… En 2015, j’ai entamé à nouveau des démarches pour obtenir mes papiers. Je n’ai eu mon titre de séjour qu’en juin 2019 seulement ! En 2012, j’ai travaillé chez un monsieur d’une très grande culture. En discutant avec lui, j’ai découvert son goût pour la poésie. Je lui ai donc montré mes écrits en lui expliquant que je m’y essaie modestement depuis très jeune au Congo. Il m’a conseillé de me lancer. Pour moi, l’écriture est une passion. Cela a commencé vers 8-9 ans. J’ai pris conscience de ce qu’est la poésie en lisant “Le pélican” de Robert-Desnos (NDLR : poète surréaliste et résistant français). En apprenant son texte, j’ai remarqué les rimes. J’ai découvert la rythmique, la structure, le vers… Je me suis mis à écrire à partir de là. A l’époque, je voulais devenir médecin comme mon père.
J’ai écrit quatre recueils : le premier s’appelle “De l’encre sous les gravats » paru en 2014. Je l’ai rédigé rapidement, en réaction à une interview de Marine le Pen. Son discours m’a horrifié. Elle n’y connaît rien à la situation réelle des étrangers, à celle des migrants. J’insuffle mes révoltes dans certains textes. Aussi, je me questionne sur mon parcours : ce que j’ai fait, ce que je ressens, ce que je retiens de cette première partie de ma vie.
Mes questionnements sont permanents, identitaires. Je m’interroge également sur la démocratie, le fait d’être un étranger dans un pays, la part de l’Afrique dans le monde aujourd’hui, etc. Puis, j’ai écrit “Contes et fleurette”, dont la sensibilité s’inspire librement des textes de Guillaume-Apollinaire que j’adore. Ce recueil est sorti en 2016.
La même année, je suis le troisième lauréat du Prix de la Nouvelle de Fabrègues pour “Cauchemar doré”. En 2018, je remporte le Prix Aimé-Césaire pour “Ecrits noirs … Encre rouge ”, mon troisième recueil paru en 2019, dans lequel je m’interroge beaucoup sur les rapports France-Afrique. Le dernier en date s’intitule “ Cantate du soir et Petits pieds ginkgo “, œuvre auto-éditée juste avant le premier confinement en 2020.
Au début, quand je venais d’arriver à Montpellier, j’avais l’impression de retrouver certaines odeurs, certains parfums de mon pays. La deuxième année j’ai ressenti de la nostalgie.
Je ne suis jamais retourné au Congo à cause du prix élevé des billets d’avion à l’époque. Et puis, j’avais peur d’être bloqué là-bas à cause de ma situation administrative. N’ayant pas terminé mes études, le cursus que je m’étais imaginé, j’avais un sentiment d’échec qui m’a fait culpabiliser. Surtout face à ceux de ma promo de bacheliers qui n’avaient pas pu obtenir leur visa pour étudier en France. Mais aujourd’hui avec un peu plus de recul, je n’ai plus ce sentiment d’échec justement. Au contraire. Je suis assez fier de mon parcours. Cela m’a forgé un caractère. Je peux dire que j’ai vu “les coulisses” de la société française quand j’étais sans-papier.
Qu’est-ce qui me manque du Congo?
C’est la proximité physique avec la famille. J’ai dû m’habituer au téléphone et ce n’est pas facile. Il y a la cuisine aussi. Heureusement que je sais me débrouiller pour reproduire quelques recettes de mon père, ma mère. Pour moi, l’Afrique est un paradis. Lorsqu’on s’extirpe du tableau politique, on y trouve encore la liberté. On est libre. Exemple : la possibilité de créer facilement son activité vivrière. Les faiblesses de l’Afrique sont dans sa logistique. La souveraineté de ses institutions. C’est une question de gestion. Le Congo Brazzaville vit un paradoxe. Le niveau de vie y est très bas, alors que le pays est exportateur de bois, de mines et un des plus grands producteurs de pétrole d’Afrique. L’Afrique francophone ne choisit pas ses partenaires. Tout se passe toujours sous le regard de la France. Pas de souveraineté africaine donc. Le grand enjeu pour moi reste l’échange. C’est une terre à potentiel énorme avec des valeurs inestimables : la solidarité, la famille, les amis, le partage. Sans ce modèle, le continent aurait sombré depuis longtemps.
Ici à Montpellier je fais juste un constat : dans les années 90 et bien avant aussi, il existait une « communauté » congolaise. Elle était active sur le plan culturel. Aujourd’hui, elle est moins structurée.
Depuis peu, j’anime des ateliers d’écriture. Je crée des spectacles vivants de poésie en musique. Depuis juillet 2021, je développe de nouvelles activités. J’ai monté une librairie en ligne qui s’appelle “Au mbongui”. Le mbongui est un peu l’équivalent de “ l’arbre à palabre ”.
A travers l’écriture j’ai retrouvé le côté intellectuel de mon père et le côté entreprise de ma mère. Il faut suivre sa propre voie ».
Propos recueillis par Jean-Fabrice TIOUCAGNA