« Je m’appelle Ouzin. Je suis artiste-peintre. Je suis né au Sénégal à Thiès. J’y ai grandi. Puis, j’ai quitté ma ville natale pour Dakar, la capitale sénégalaise, où j’étais promoteur culturel et manager de plusieurs artistes.
En 1998, à 28 ans, je débarque à Montpellier. Mon épouse s’y était déjà installée depuis peu. J’ai commencé à travailler. Les débuts n’ont pas été faciles. Il a fallu s’adapter. Au début, j’étais homme à tout faire (ménage, main d’œuvre… ) au pôle dentaire à la Mosson. Un jour, de ma propre initiative, j’ai sculpté un bridge pour constituer un dentier. Je voulais rester dans l’entreprise mais au moment d’être embauché comme prothésiste dentaire, on m’a dit non. Première confrontation au racisme : un des patrons ne voulait pas de noir dans son équipe. C’est comme si on m’avait réduit à néant. Malgré tout, on m’a gardé dans l’équipe et j’ai pu exercer ce métier. Notre collaboration a duré douze ans. Et c’est justement cela qui m’a motivé à avancer. Et puis, j’ai décidé de tout arrêter pour me consacrer pleinement à la peinture que je pratique depuis mon enfance au Sénégal. Je suis autodidacte. J’aime apprendre. Je ne suis pas quelqu’un qui adopte les règles conventionnelles. Je préfère me démarquer. J’ai fait plusieurs tableaux. J’ai peint, par exemple, des caravanes d’esclaves que j’ai exposé à la Maison des esclaves à Gorée, au Sénégal. En une semaine, j’ai vendu tous mes tableaux à des Américains.
Je suis entre deux cultures. Je n’ai pas coupé mes liens avec l’Afrique et particulièrement le Sénégal qui est ma terre mère. La France est ma terre adoptive. J’ai constaté beaucoup de valeurs africaines que nous retrouvons dans la culture française. L’amitié franco-sénégalaise n’est pas le fruit d’un hasard.
Mes amis et ma famille me disent : “Tu fais partie des rares personnes qui n’ont pas changé”. Mais pourtant je sais qu’il y a un changement. Je reste modeste. J’ai pris tout ce qui est bon dans la culture française, dans ses valeurs, dans ses traditions. J’ai refusé ce qui est incompatible avec ma personnalité. L’Afrique a aussi ses traditions. Je suis toujours fier des liens familiaux. Son côté humaniste. Le respect des personnes, surtout envers les parents, qui nous sont chers. Le partage : partout où que nous allions en Afrique, nous sommes bien accueillis.
Quand je suis arrivé en France je me suis installé directement à la Paillade, un quartier pas facile. J’ai connu des gens formidables. J’ai observé les codes du quartier et je me suis adapté. Ici, j’ai rencontré beaucoup d’Africains mais je ne suis pas pour le communautarisme. Je suis quelqu’un d’ouvert. Je suis pour le brassage culturel. Les bonnes valeurs sont universelles c’est-à-dire le respect des gens, des religions, des coutumes… Ici nous côtoyons toutes les communautés.
J’ai quatre enfants, tous nés à Montpellier. Tout ce que je souhaite c’est qu’ils soient heureux. C’est bien de connaître l’origine de ses parents. Je leur parle de l’Afrique évidemment. Ils s’y intéressent. De toute façon, on leur rappellera toujours qu’ils sont issus de l’immigration.
Mon regard sur le continent africain ? D’abord, l’Afrique et l’Europe sont deux cultures totalement différentes. J’ai un avis mitigé mais avec quand même beaucoup d’espoir. On ne va pas s’apitoyer sur le passé lugubre de l’Afrique. La colonisation anciennement vécue et les guerres ne doivent pas être un frein au développement du continent. Au contraire, ce lourd passé historique, mais c’est cela qui doit être le socle d’un développement justement. Le développement d’un pays passe aussi par cette souffrance, qui donne la force d’avancer.
Il faut se lever et se battre comme l’ont fait les Chinois, par exemple, pour émerger dans cette course vers le progrès. Aujourd’hui, nous sommes moins ignorants. Avant, nos dirigeants nous cachaient tout. Ils contrôlaient les médias. Cela a changé. Maintenant, les Africains ont une ouverture sur le monde. Ils sont en train de prendre leur destin en mains, surtout ces dix dernières années. Mais il ne faut pas que l’Afrique perde son identité à cause du mimétisme avec les pays occidentaux.Je pense que nous ne pouvons pas tout considérer comme “développement”. Le réchauffement climatique est une conséquence, par exemple, du développement industriel. Je pense que le progrès d’un pays n’est pas que du béton. Le vrai développement passe en priorité par l’éducation.
Il faudrait redéfinir les critères du développement. Est-ce qu’il est matériel ou moral ? Une économie n’a pas de valeur si les gens n’en profitent pas. Maintenant, je comprends que la richesse n’est pas matérielle. La plus grande richesse n’est pas palpable.
Le continent africain est riche culturellement. Il est tant que l’Afrique se lève ».
Propos recueillis par Jean-Fabrice TIOUCAGNA