Pour l’édition du Pailladin spécial Coupe du Monde, nous avons sollicité l’entraîneur du MHSC féminin, Jean-Louis Saez, pour un entretien d’une demie-heure. Pile à l’heure, le coach salue et présente tout le monde, nous fait faire le tour des locaux, propose un café et le tutoiement. Dans son bureau, situé dans les anciens locaux de l’Ecole supérieure de journalisme, la demie-heure d’interview devient une heure et demie d’échanges entre passionnés. On en repart ravi.
L’organisation d’un mondial à domicile est une grande occasion de faire la promotion du foot féminin. Pensez-vous que l’engouement est à la hauteur des attentes ?
Je crois que la Fifa et la fédé, avec les villes hôtes, cherchent à dynamiser un peu. La popularité n’est pas encore là, il faut attendre que la compétition débute. La priorité aujourd’hui, c’est de remplir les stades.
Plus de la moitié des tickets ont déjà été vendus.
Je crois qu’à Montpellier on est un peu en retard. Après, oui, sur les deux demies et la finale, les matchs seront à guichets fermés, mais ce serait bien qu’en poules il y ait un maximum de monde pour que tout le monde puisse voir ce que c’est que le foot féminin de haut niveau.
Il y a une meilleure couverture médiatique du foot féminin depuis les JO. Quelles sont les pistes qui restent à explorer ?
Les filles ont la chance de bénéficier de la visibilité qu’a le foot. C’est le sport numéro 1 dans le monde. Il est beaucoup pratiqué par les garçons, et s’ouvre de plus en plus aux femmes. La difficulté, c’est peut-être la comparaison avec le foot des garçons et le retard accumulé, même s’il ne faut pas comparer. Le fait qu’aujourd’hui tous les pays s’ouvrent au foot féminin, c’est une ouverture et une chance pour le foot en général. C’est le même sport pratiqué par des femmes, différemment des hommes.
Comment vous le définiriez le foot féminin ?
Je parlerais d’élégance sur le foot féminin et de puissance sur le foot masculin. Le foot masculin sera toujours plus rapide et plus puissant, le foot féminin est plus félin, c’est plus un jeu d’évitement.
Peut-on dire que la mentalité est plus collective ?
Pas forcément. Elles sont plus dans le respect, un peu plus dans les valeurs du sport. C’est le début du professionnalisme, il faudra voir avec si les futurs enjeux ne vont pas le dénaturer. Il y a aussi l’arrivée des entraîneurs de garçons, qui peuvent leur apprendre le vice, mais c’est vrai que les filles sont assez puristes.
Quels sont nos principaux freins, dans notre société, qui font que le foot féminin est encore un peu confidentiel ?
Je crois que c’est en train de changer. La semaine dernière, j’étais sur une petite commune, près d’Arles, à Fontvieille, il y avait 350 gamines pour un premier tournoi féminin, j’étais espanté de les voir jouer. J’avais l’impression de me voir moi quand j’ai débuté il y a 30 ou 40 ans. Aujourd’hui, je ne sens plus de frein de la part des parents de mettre leurs filles au foot féminin. La médiatisation d’un événement comme celui-là va permettre aux filles de demander à leurs parents de s’inscrire. La contrainte que j’y vois, c’est d’être en capacité de les accueillir dans les clubs. Ca veut dire des encadrements, des installations sportives (ça veut dire aménagement des vestiaires, des terrains, de créneaux). Mais je sens que ça se fait naturellement. Et puis la tendance, l’égalité hommes-femmes, ça vient au bon moment.
Il y a des actions impulsées par la Fédé pour inciter les clubs pro à avoir un taux de licenciées filles. Le premier frein est levé, c’était « on est une fille, on peut venir ? – Non, on n’accueille pas les filles ». Je crois qu’aujourd’hui, on ne peut pas refuser. Les dirigeants de club ont pris conscience de ça, ils vont être confrontés à l’encadrement, il va falloir pousser les murs, ouvrir des terrains, des créneaux, mais le premier frein a été sauté. Le 2e est de faire en sorte à ce qu’elles soient accueillies dans les meilleures conditions et que petit à petit, elles se disent que ça peut devenir un métier. On est à l’aube du foot professionnel, et la médiatisation fait qu’il y a une fraîcheur qui se retrouve dans les médias ou les partenaires économiques. C’est un foot qui va se développer dans les années à venir.
Le MHSC a été un club précurseur.
Oui, on a été le premier club avec un support professionnel. Il y a six ans, quand j’ai rencontré le président Louis Nicollin, il m’a dit « je crois beaucoup au foot féminin ». J’avais quelques réticences mais il a su me convaincre. Quand le président a dit qu’il croyait au foot féminin, j’étais sûr qu’il allait se développer parce que bon, être capable de faire ce qu’il a fait, avec son entreprise ou avec le club… Il a toujours été en avance. C’était quelqu’un de très ambitieux et de visionnaire.
Tu étais déjà dans le foot féminin avant que Louis Nicollin te contacte ?
Non, j’étais avec les garçons. C’était ma première expérience avec des filles. Il a su me convaincre parce qu’il sentait que j’avais des réticences, mais aujourd’hui je ne le regrette pas.
Quelle est la différence avec les garçons ?
Les garçons ont l’esprit de compétition, et les filles se posent mille questions. Elles ont besoin de se rassurer. Je pense que c’est plus difficile de coacher chez les filles, en termes d’esprit d’équipe, de cohésion. Chez les garçons, on est compétiteurs, on veut gagner. Et on va faire des efforts collectifs pour gagner. Même si on ne s’entend pas. Les filles, si elles ne s’entendent pas, elles ne vont pas passer au-dessus de ça pour gagner. Il faut qu’elles s’entendent. Tout peut être fragile. C’est quelque chose qu’il faut entretenir, parce que il y des fois des petites jalousies, des trucs qui font qu’un groupe peut vite s’effriter.
Tu as dû galérer au début non ?
Au début, avec la fraîcheur, c’est nouveau. Je les traitais comme des garçons. Après, avec la finesse, c’était plutôt la notion collective, j’entrais peu dans les notions individuelles, ça pouvait être mal interprété, donc j’amenais beaucoup de notions collectives. C’était la confrontation de groupe avec le coach. Au début, je n’entrais pas trop dans l’affect. En même temps, on a besoin de rapports individuels, mais les filles sont assez coquines, car dans l’aspect individuel, après ça ressortait, ça ne restait pas dedans. Ne jamais parler d’une autre fille dans une relation à deux, parce qu’après tu peux être sûre qu’elles vont parler entre elles. Les filles, là-dessus elles sont très coquines, alors il faut faire attention.
Mais c’est super. Moi elles m’ont espanté sur la progression du jeu, la progression individuelle, on va de plus en plus loin de plus en plus vite. Même si elles ont 30-40 ans de retard sur les garçons, sur les centres de formation ça va se créer maintenant. Nous on commence à faire de la formation mais on n’a pas d’hébergement. On fait un recrutement à 20 kilomètres, alors qu’un garçon en U13 on va le chercher à 300 kilomètres. La progression va se faire au fur et à mesure. Avant, quand on avait quinze hébergements, la moitié du centre de formation, c’était des Montpelliérains. Maintenant, je ne sais même pas si t’as un Montpelliérain.
Quand tu as pris tes fonctions, le foot féminin était déjà professionnel ?
Non. La première année on s’entraînait le soir, à 19 heures, et la deuxième, on a commencé à s’entraîner en journée. Et la troisième, on avait toutes les filles sous contrat. C’était une volonté présidentielle de Louis et Laurent Nicollin qui ont donné les moyens aux joueuses. Au départ, l’idée, c’était de les accompagner dans un double projet, professionnel et sportif, et depuis maintenant quatre ans, elles ne font plus que du foot. Donc automatiquement, elles ont très vite progressé.
Cela a changé leurs vies ce tournant professionnel.
Cela a changé leur vie. Au bout de deux ans, j’ai presque éliminé celles qui avaient un travail, elles avaient 30 ans et s’étaient déjà insérées dans la vie professionnelle, d’autant qu’on avait une bonne génération de jeunes joueuses (Karchaoui, Toletti, Gauvin), qu’il fallait lancer très tôt dans le grand bain. Donc voilà, ç’a été un passsage entre le foot amateur et le professionnalisme, avec une mentalité qui change et les filles qui progessent forcément.
Le club est-il a sa place, 3e, derrière Lyon, la meilleure équipe du monde, et le richissime PSG ?
Oui. Ce n’est pas ma meilleure saison. C’est peut-être la plus décevante parce qu’on a mal démarré la saison. On avait fait de très bons matchs de préparation mais on s’est fait piéger dès le début de saison. Difficile à expliquer. Puis le groupe s’est accroché, on a beaucoup travaillé pour qu’il y ait un resserrement autour du collectif. Peut-être qu’il y avait une dispersion sur les projets individuels qui étaient plus forts que le projet collectif, du coup ça s’est effrité en début de saison. Puis, tout le monde a compris que le club était important et qu’il avait beaucoup donné à toutes ces filles là, notamment pour celles qui vont aller à la coupe du monde, on a quand même sept filles qui vont à la coupe du monde. Elles ont compris que l’un n’allait pas sans l’autre, et on a fait une belle remontée, de la 11e à la 3e place, mais on a laissé s’échapper Paris et Lyon alors qu’on aurait pu rivaliser comme on l’a fait les deux années précédentes. Donc, c’est une année un peu décevante, mais on ne peut pas toujours être au top.
Ce côté n’existait pas avant.
Non, ça n’existait pas. En étant amateur, c’est un peu l’esprit rugby, la troisième mi-temps était important, et maintenant on a un contrat de travail, on est payé pour faire du foot, donc on demande un peu plus. Puis il y a les agents, elles ont toutes un agent, donc forcément les salaires augmentent un peu, du coup l’attente est différente. Et là, il y a eu un tournant. Les filles se rendent compte qu’elles ont des droits mais qu’elles ont aussi des devoirs, qu’il faut se comporter comme une professionnelle, même si elles ont un double projet. Valérie (Gauvin, NDLR) a bien réussi. Elle a un Bac +4 et a 100 ou 150 matchs de D1 et elle est internationale, à 22-23 ans. Donc on peut arriver à jouer sur les deux tableaux.
C’était ta dernière saison ?
Oui. Je deviens directeur sportif du foot féminin. Le président souhaite encore développer le foot féminin. Il faut se préparer demain à avoir un centre de formation, garder un peu l’avance qu’on a. Quand je suis arrivé, on était trois salariés dans la section féminine, aujourd’hui on est un peu plus de dix. Un responsable de la formation, de la préformation, on a créé une réserve – c’est un pôle élite pour les 19-22 ans -, l’école de foot, un kiné, deux entraîneurs des gardiens. Parfois on dit que les gardiennes sont en retard sur les joueuses de champ, mais il y a quatre ans, on n’avait pas d’entraîneur de gardien. Aujourd’hui il y en a un pour la D1 et un pour les jeunes. Donc forcément avec le travail qu’ils vont faire, ça va payer dans trois-quatre ans. Il y aura toujours un peu de retard. Mais aujourd’hui, on prend plus de place en sachant qu’aujourd’hui il n’y a pas d’économies. Les filles coûtent de l’argent au club, en espérant que demain on récolte les fruits de quelque chose.
Qui te succède?
Fred Mendy. Il lâche les 16 ans et va prendre les filles l’année prochaine.
Quelle équipe vois-tu favorite au Mondial ?
Les Etats-Unis, l’Allemagne, la France.
Dans l’ordre?
Non, je dirais… Je mettrais la France parce qu’on joue à domicile. Portées par l’événement, l’engouement, je crois que si aujourd’hui on sent un petit retard à l’allumage, la com’ est bonne, les matchs de prépa se sont bien déroulés. Il s’agit de sortir des poules et après on verra dans les matchs éliminatoires, on a vu l’engouement en 1998 avec les Bleus, c’est monté crescendo. Ca va être aux filles d’aller chercher le public français pour que derrière il y ait cette douzième femme qui les pousse à aller chercher le Graal.
On dit souvent que la génération dorée est passée. Je ne suis pas forcément d’accord.
A l’ère de Platini, avec le carré magique (Tigana-Fernandez-Platini-Giresse, NDLR), on avait peut-être le meilleur milieu de terrain au monde. Et je pense qu’avec Abily-Necib-Henry-Bussaglia, on avait sûrement il y a cinq-six ans le meilleur milieu du monde. Ceux du passé ouvrent la porte à ceux qui gagnent demain. Je crois qu’Hidalgo a préparé la victoire de Jacquet, et je pense que les Bini, Echouafni et peut-être d’autres prépareront le succès de Corinne Diacre.
Quelle est l’identité de jeu de cette équipe de France ?
Une bonne mixité entre de jeunes talents qui se sont révélés dernièrement et très tôt, qui ont gagné des choses (Euro U19, Mondial U20) et des joueuses expérimentées. Cela peut faire un noyau intéressant, je crois que Corinne Diacre a voulu s’appuyer sur les meilleures lyonnaises et piocher dans chaque club pour essayer de donner un allant par rapport aux années précédentes, où c’était plutôt l’entité Paris-Lyon. En termes de vie de groupe, je pense que ça peut fonctionner. Après en termes de jeu, on a beaucoup changé de système mais je pense que ce sera une rigueur et une discipline collectives.
Mathieu CONTE